À l’heure (c’est le cas de le dire) où se pose la question de ne plus changer d’heure deux fois par an (heure d’été et heure d’hiver), revenons sur la petite histoire de cette décision qui chamboula le quotidien de nombre de citoyens à travers le monde.
Des bénéfices de la lumière du soleil
Le 26 avril 1784, une lettre quelque peu saugrenue est publiée dans le Journal de Paris. L’auteur nous explique, non sans ironie, qu’après une soirée tardive, il s’est étonné de voir le soleil se lever à 6h du matin. Il ajoute :
« Vous avez sûrement, messieurs, beaucoup de lecteurs des deux sexes, qui, comme moi, n’ont jamais vu le soleil avant onze heures ou midi […] je ne doute pas que ces personnes ne soient aussi étonnées d’entendre dire que le soleil se lève de si bonne heure, que je l’ai été moi-même de le voir : elles ne le seront pas moins de m’entendre assurer qu’il donne sa lumière au même moment où il se lève ; mais j’ai la preuve de ce fait, il ne m’est pas possible d’en douter, je suis témoin oculaire de ce que j’avance ».
L’auteur démontre par un savant calcul qu’il serait bien mieux de se lever avec le soleil afin d’économiser quelques chandelles… Comment faire ? Il propose d’instaurer une taxe sur les volets empêchant la lumière du soleil d’entrer ou encore de faire sonner toutes les cloches des églises au lever du soleil, voire même de « faire tirer un coup de canon dans chaque rue pour ouvrir les yeux des paresseux sur leur véritable intérêt » !
Il conclut enfin en disant « qu’il est impossible qu’un peuple sage, dans de semblables circonstances, eût fait si longtemps usage de la lumière fuligineuse, mal saine et dispendieuse de la bougie et de la chandelle, s’il eût connu, comme je viens de l’apprendre et de l’enseigner, qu’on pouvait s’éclairer pour rien de la belle et pure lumière du soleil ».
Cette lettre, attribuée à Benjamin Franklin, celui-là même qui participa à la rédaction de la déclaration d’indépendance des États-Unis, bien qu’humoristique, évoque l’idée d’économiser les lumières artificielles au profit de celle du soleil (gratuite). Certains y ont vu les prémices des changements d’heure instaurés en Europe au début du XXe siècle.
En 1907, le britannique William Willet propose pour la première fois de changer l’heure dans un essai intitulé « The waste of daylight ». Malgré les soutiens qu’il obtiendra, cela restera sans effet.
Il faudra attendre la première guerre mondiale et la nécessité d’économiser le charbon pour que la question soit remise sur le tapis. L’Allemagne, le Royaume-Uni puis la France adoptent le changement d’heure en 1916.
1940-1976
Durant la seconde guerre mondiale, la situation se complique en France et en Europe. Au fur et à mesure de l’avancée des troupes ennemies, ce que l’on appela « l’heure allemande » fut instaurée dans les zones occupées. Cela implique qu’au sein même de notre pays, il y eut des décalages d’1 à 2h entre la zone occupée et la zone libre. Bien évidemment, cela causa nombre de complications, notamment pour la circulation des trains.
En 1941, le gouvernement français décida d’adopter l’heure allemande dans tout le pays.
À la Libération, le changement d’heure saisonnier est abandonné, et ce jusqu’au choc pétrolier du début des années 1970.
1976, passage à l’heure d’été
Après le choc pétrolier de 1973, le gouvernement français souhaite réduire ses dépenses énergétiques. L’objectif est de réduire les besoins d’éclairage le soir, tout comme le préconisait le lecteur du Journal de Paris près de 2 siècles auparavant. Pour cela, un décret rétablit le changement d’heure. La mesure est alors présentée comme étant provisoire. Pourtant 40 ans plus tard, nous changeons toujours d’heure deux fois par an, au printemps et en automne.
Depuis quelques années, plusieurs pays ont abandonné le changement d’heure, comme l’Argentine, la Turquie ou encore le Canada. En Europe, la question est discutée depuis 2018. Une consultation publique européenne s’est achevée le 3 mars 2019. En France, 59% des votants ont dit préférer l’heure d’été. Verdict en 2021 !
Pour en savoir plus
Jacques Gapaillard, Histoire de l’heure en France, Paris, 2011
Yvonne Poulle, « La France à l’heure allemande », Bibliothèque de l’école des chartes, vol. 157, n°2, 1999, pp. 493-502
Pour les curieux : Historique des passages à l’heure d’été (Paris)
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